Le rouleau compresseur
J’ignore comment c’est pour vous, mais moi, j’ai souvent l’impression, en ce mois de juin, d’être prise dans une sorte de rouleau compresseur qui avance sans se soucier de savoir si je suis ou pas coincée dessous … et d’après pas mal de personnes que je rencontre ces jours, on dirait bien que je ne suis pas la seule.
Est-ce le contre coup du mois de mai dont les nombreux jours fériés bien placés ont permis de grands ponts ? Est-ce la perspective de tout ce qu’il y a à boucler avant l’été et les vacances ? Est-ce le temps qui fait le yoyo et fatigue nos organismes qui doivent sans cesse s’adapter ? Est-ce une sorte de sentiment d’urgence lié au fait que juin, c’est l’été et qu’après l’été … c’est très vite la fin de l’année ? Comme si jusqu’en mai on était encore dans la perspective du neuf, de l’année qui encore s’ouvre comme une promesse et qu’à partir de juin, on entre dans une forme de « prémonition» que tout ce qui n’a pas été déjà planifié, mis en place, lancé etc risque fort de ne pas voir le jour avant la fin de l’année ?
Sans doute que les raisons sont différentes pour les uns et pour les autres et qu’elles se mélangent dans des proportions variables suivant les moments. Toujours est-il que ce matin était un de ces jours où je me suis levée avec l’impression fort désagréable d’être pieds et poings liés à un rouleau compresseur, entrainée malgré moi dans une course qui, si je prends un peu de recul, ne ressemble pas forcément à celle que j’ai envie de courir. Une course qui génère de l’inquiétude, du stress et l’angoissant sentiment d’avoir remis toutes les manettes à cette mécanique sans état d’âme.
Et puis, avec l’aide d’une tierce personne (tierce entre moi et le rouleau compresseur !) j’ai pris conscience que je pouvais reprendre la maîtrise de mon orchestre personnel. Parce que, finalement, ça m’intéresse peu d’être capable de contrôler les manettes d’un engin ! Je lui abandonne sans regret manettes et contrôle. Mais je reprends baguette et maîtrise. La baguette qui permet au chef d’orchestre qui est un maître dans son art, à partir de sa sensibilité, de sa connaissance de l’œuvre, de son intuition, de son cœur, de son envie de transmettre et de partager, de l’élan qui l’anime, de donner vie à une œuvre à travers la mobilisation et la coopération de plusieurs musiciens.
Le chef d’orchestre ne se perd pas dans sa partition : il sait où l’emmène chacune des lignes musicales de chacun des instruments ; et il sait aussi comment il a envie d’y aller. Il fait de quelque chose qui est extérieur à lui (la partition musicale, l’écriture de l’œuvre) quelque chose de complètement intégré, personnel, renouvelé. Et il crée ce miracle en partant de lui, en allant vers les musiciens et en revenant à lui et à sa perception de l’oeuvre, dans un dialogue permanent entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce qu’il donne et ce qu’il reçoit.
Comment cette image du chef d’orchestre vous parle-t-elle ? Ne pourrait-elle pas devenir une image de nos vies plus porteuse que celle du rouleau compresseur ? Et si nous abandonnions le contrôle des manettes et son corollaire, l’angoisse de perdre pied, et que nous retrouvions la maîtrise d’une vie qui s’écrit comme une œuvre d’art et qui intègre, prend pied sur, joue avec et transforme avec sensibilité même les fausses notes ?